Des Bordelais inventent une pissotière pour sauver "les rues de la pisse"

Démonstration de l’usage de l’Uri NOIR, rue Saint-Eloi à Bordeaux. (©Yves Simone)

Elle est discrète, étroite et peu fréquentée, la rue Saint-Eloi, dans le centre de Bordeaux. Les bars du cours Victor Hugo et de la place Fernand Lafargue ne sont pas bien loin, et quelques sans-abris vivotent dans le coin. Dans le jargon du pipi urbain, c’est un bon spot. L’odeur d’urine qui s’en dégage au croisement avec la rue Saint James atteste de son succès.

Ici, certains se soulagent et d’autres enragent, comme l’abbé Grégory Lutz-Weist qui n’apprécie guère de voir le mur de son église assailli par les vessies bordelaises. Christian Baulme, dont le magasin Brico Relais trône à quelques pas, prêche la même exaspération. Président de l’association des commerçants, il a participé au financement d’un prototype de pissotière créé à Bordeaux.

À lire aussi

Bordeaux : attention à la brigade « anti-pipi », uriner dans la rue est devenu hors de prix

Un « problème historique »

« La rue Saint-Éloi est malheureusement connue comme la rue de la pisse », attaque Maxime Lis, designer industriel. « Ca a toujours été comme ça », se souvient l’abbé Gregory Lutz-Wiest. Mais un autre phénomène s’est ajouté à ces vieux déboires dans le quartier : « les toxicomanes se sédentarisent », observe l’abbé de l’église. 

« Comment traiter ce problème historique ? Financer un agent municipal de jour comme de nuit ? Fermer la rue ? Bétonner le moindre recoin ? Rationnellement, il est impossible d’endiguer le problème de cette façon », tranche le designer de l’urinoir. 

« Nous avons donc créé un produit qui canalise les urines », expliquent les pères du projet, Maxime Lis et Yves Simone, guide touristique à Bordeaux.

Ce produit, l’Uri NOIR est une pissotière « qui se connecte sur la gouttière du bâtiment afin d’utiliser les eaux de pluie comme chasse d’eau naturelle et l’écoulement de la ville comme égout. »

Yves Simone, Christian Baulme et Maxime Lis autour de l’urinoir greffé à une gouttière rue Saint-Eloi. (©Uri NOIR)

« Ne pas officialiser la rue comme lieu d’aisance »

Greffé sur la canalisation de l’église Saint-Eloi pendant les trois premières semaines de juin, particulièrement festives, et donc arrosées, le prototype « a permis la neutralisation des mauvaises odeurs et l’assainissement général de la rue », assurent ses concepteurs.

Selon l’abbé, pendant ces quelques jours, « Ca avait commencé à prendre. On sentait du positif, il y avait moins d’urine dans la rue. Il aurait fallu expérimenter plus longtemps. » Mais l’odeur ne s’est pas évaporée pour autant.  « Et puis il n’y a pas que l’urine… », ajoute Gregory Lutz-Wiest.

Depuis son magasin de vélo, juste en face, Thomas se montre plus sceptique : « L’odeur n’est jamais partie, c’est resté déguelasse. Pour moi, ça n’a pas changé grand chose. »

Plus « discret » et « écologique » – selon les termes de de Gregory Lutz-Wiest – que des toilettes publiques, dont les plus proches sont à plus d’une centaine de mètres, le dispositif n’était pas indiqué par une quelconque signalétique « pour ne pas officialiser la rue comme lieu d’aisance« , explique Maxime Lis à Actu Bordeaux.

Dans les environs de l’église Saint Eloi, au centre de la carte, l’offre de toilettes publiques est limitée. (©Capture d’écran Bordeaux Métropole / Actu Bordeaux )

Bientôt dans nos rues ?

Au terme de ces trois semaines de test, pas tout à fait légales, l’Uri NOIR et été dévissé. « Je regrette cette approche. On aurait dû le laisser pour que tout le monde voit que faute de solution, les riverains se retrouvent à investir eux-mêmes », regrette Christian Baulme, qui a mis 500 euros dans le projet. Mais ce laps de temps aura suffi à attirer l’attention de certains élus, assure Maxime Lis, qui espère voir sa création reprise par les collectivités.

Nous avons rencontré des habitants, des commerçants, des agents de la ville ainsi que des municipaux qui ont salué la discrétion, l’ingéniosité et l’efficacité brute de ce projet.

Maxime Lis et Yves Simone

« Nous aimerions une mise en place officielle de ce projet avec la possibilité économique et légale de le dupliquer. Nous souhaitons un rapprochement avec les institutions locales et collectives pour un déploiement sur le long terme dans les zones visées », expliquent Yves Simone et Maxime Lis.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *